Le 29 janvier, le Conseil constitutionnel censurait l’article de la loi "Egalité et Citoyenneté" concernant la violence éducative ordinaire, non sur le fond mais sur la forme. Ce texte, entériné le 22 décembre dernier par le Parlement, interdisait légalement la fessée, un beau cadeau de Noël pour beaucoup d’enfants. Qui n’aura pas duré longtemps. Vue d’ici, cette prise de position étonne puisque la Suède, précurseur en la matière, a été le premier pays à légiférer contre la maltraitance des enfants en 1979, il y a bientôt 40 ans.
Évolution des mentalités en Suède
Au
début du XXème siècle, la Suède était pauvre, toute la famille
travaillait et les enfants étaient réquisitionnés. Les coups n’étaient
pas rares. Les mentalités ont évolué dans les années 50. La société
suédoise s’est modernisée, le pays s’est doté d’un fort état providence.
Elle a alors assez vite commencé à prendre l’enfant très au sérieux et à
se positionner sur la question de la maltraitance. En 1958, tout
châtiment corporel est interdit dans les écoles, et à partir de 1960
dans toutes les institutions pour enfants. Pourtant à l’époque, plus de
la moitié des Suédois considérait encore les châtiments corporels comme
un outil indispensable à une bonne éducation. Mais dès 1966, le code
pénal les assimile à une "agression". Petit à petit, les esprits
évoluent.
Promulgation de la loi
En
1979, le texte est adopté par 259 voix contre 6 : une étape est
franchie vers une éducation non violente des enfants, un processus
plébiscité par de nombreuses personnalités comme Astrid Lindgren, la
"mère" de Fifi Brindacier.
Désormais,
le code pénal stipule que toute personne infligeant une blessure
corporelle à une autre peut encourir une peine, amende ou aller en
prison pour agression. Cela vaut indépendamment du fait que la victime
soit un adulte ou non, l’enfant ayant autant de valeur qu’un "grand" aux
yeux de la loi.
Œuvrer pour une éducation non violente
La
loi s’est accompagnée d’une grande campagne de sensibilisation. On
parlait de la maltraitance partout dans les média et les autorités se
sont largement investies : distribution d’une brochure intitulée
"Pouvez-vous élever vos enfants avec succès sans gifle ni fessée ?" à
chaque famille, affiches, informations disponibles sur les briques de
lait et organisation de cours gratuits en soutien aux parents. L’effort a
porté ses fruits. En 1965, 53 % des Suédois se disaient en faveur des
châtiments corporels ; en 1995, ils n’étaient plus que 11 %. D'après une
étude de 2011, 92 % des parents déclarent qu' il "est mal de donner la
fessée" à un enfant.
Dans
les années 1960, plus de 90 % des parents admettaient frapper leurs
enfants. En 2011, ils sont à peine plus de 10 %. Presque deux
générations après l’interdiction des châtiments corporels, 87 % des
Suédois n’ont jamais été frappés, et la quasi-totalité des parents
n’envisagent même plus les châtiments corporels comme une méthode
d’éducation, selon une étude de l’Université de Karlstad.
Tout n’est pas parfait...
Il
reste encore des enfants battus, même en Suède. L’association "Rädda
barn" estime qu’un enfant sur sept est encore victime de violences.
Cependant, même si certains parents résistent et utilisent encore la
fessée, il semble que les coups soient moins nombreux. Et si certains
raillent que l’on observe une recrudescence du nombre de signalements de
cas de maltraitance, elle est facilement imputable à une vigilance
accrue et une attitude plus sévère de la société envers toute sorte
d’abus.
Un modèle qui s’exporte
Forte
de son succès sur son territoire, la Suède promeut son modèle. En 1990,
elle a ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de
l'enfant, dans laquelle la maltraitance des enfants est reprise à
l'article 19. 50 autres pays dans le monde, dont 24 sur les 28 que
compte l’Union européenne, lui ont emboîté le pas et interdit les
châtiments corporels sur des enfants. La Belgique, l’Italie, la
République tchèque et le Royaume-Uni restent les derniers pays de l’UE
qui autorisent le châtiment corporel sur les enfants.
Une loi française indispensable
Pour
les Suédois, les petits Français sont battus à tort et à travers. Les
chiffres ne leur donnent pas tort puisque selon l'Observatoire
Décentralisée de l'Action Sociale, 85% des parents français disent
encore avoir recours à la fessée et 19.000 enfants sont victimes de
maltraitance en France. En introduisant une interdiction symbolique, la
nouvelle loi devrait favoriser la prise de conscience des adultes
vis-à-vis de la violence éducative ordinaire et les aider à changer
d’attitude dans leurs méthodes éducatives.
Très
peu de média suédois se sont fait l'écho du débat. Comme si,
finalement, le retard de l’Hexagone était si intolérable qu’il ne
méritait aucune presse. Preuve en est qu’ils avaient raison d’être
prudents. En Suède, la loi protège environ 2 millions d’enfants. En
France, elle en concernerait 14 millions.
Anne Donguy (lepetitjournal.com/Stockholm) Mercredi 8 février 2017
Photo : Brochure institutionnelle de 1979, "Peut-on élever ses enfants sans fessée ?".Voici le lien où vous pouvez retrouver cet article pour commenter ou le partager : http://www.lepetitjournal.com/stockholm/270040-40-ans-apres-la-suede-la-france-va-t-elle-interdire-la-fessee
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