lundi 14 décembre 2015

L'éducation bienveillante agit sur le cerveau





Interview de Catherine Gueguen publiée dans le magazine "Parents"
Pédiatre depuis 30 ans, Catherine Gueguen utilise les dernières découvertes sur le développement du cerveau émotionnel pour aider les parents à mieux comprendre et éduquer leurs enfants. Elle nous a accordé une interview au sujet de l'éducation bienveillante et de son effet positif sur le cerveau de l'enfant.
Interview : comment mieux comprendre et mieux éduquer son enfant ?

Pourquoi avoir écrit Vivre heureux avec son enfant ?

Catherine Gueguen : Les parents que je recevais en consultation me l’ont demandé ! J’étais aussi formatrice auprès de professionnels de la petite enfance. Cela m’a obligée à me documenter régulièrement sur les recherches en cours, et c’est ainsi que j’ai découvert les neurosciences affectives. C’est une science récente, d’environ une quinzaine d’années, peu connue en France où on s’attache plus aux sciences cognitives, sur le développement du cerveau. Les chercheurs qui travaillent sur les neurosciences affectives permettent de mieux comprendre ce qui se passe les premières années de la vie. On apprend ce qui va développer ou, au contraire, entraver le développement harmonieux de l’enfant.

Justement, qu’avez-vous découvert ?

C. G. : J’ai compris que l’éducation fait encore aujourd’hui la part belle aux humiliations et brimades infligées à l’enfant. On pense que c’est comme ça qu’il développera de bons comportements et qu’il va mieux apprendre. Or, par leurs études, les chercheurs nous ont fait comprendre que cette méthode produit l’inverse : ça abîme le cerveau, notamment le cortex préfrontal, en détruisant des cellules neuronales essentielles pour son développement. Tout ce qui fait honte à l’enfant, l’humilie et le rejette est mauvais pour son cerveau. Les parents croient bien faire en disant « Tu es nul », mais ça rend anxieux, agressif et déprimé. Plus tard, chez l’adulte, cela entraîne des conduites addictives.

Quelle attitude adopter ?

C. G. : Il faut se mettre dans une relation d’empathie, il faut chercher à comprendre ce qui se passe dans son cerveau. Il ne fait pas les choses pour nous embêter, il les fait parce que son cerveau, qui met environ 25 ans à devenir mature, lui dit de le faire et qu’il n’a pas d’autres réponses à donner. Quand on est empathique, bienveillant et soutenant, surtout dans la petite enfance, on donne les clés au tout-petit pour développer sa personnalité et une vraie joie de vivre.

C’est le matin et il refuse de s’habiller… Que faut-il faire ?

C. G. : Lui crier dessus en lui disant « Dépêche-toi ! » n’aura aucun effet, sauf celui de le braquer. Si on est face à un petit de 2 ans et demi, il n’a aucune notion du temps, et aucune notion du devoir. Savoir qu’on va être en retard à l’école ne signifie rien ! Il vit dans un autre monde, un monde dominé par le jeu, qui est essentiel pour qu’il se développe. Le parent ne doit pas être stressé lui-même. Contrairement à nous, l’enfant n’a pas la capacité de réguler le stress. Il va l’absorber et se sentir agressé.
Pour ne pas être stressé, tout le monde doit s’être levé suffisamment tôt. Le matin, il faut avoir du temps, être dans une bonne disposition, et surtout avoir envie de jouer, chanter, faire des jeux, des défis, pour qu’il enfile petit à petit ses habits. Avec un plus grand, vers 4-5 ans, s’il a été élevé avec empathie, il peut réfléchir. On peut lui expliquer : « Je suis très ennuyée, je ne veux pas te crier dessus le matin, mais vraiment ça prend trop de temps pour te préparer, qu’as-tu comme solution ? » On écoute ce qu’il propose : « Je veux préparer mes habits la veille et les choisir », ou « Je veux savoir combien de temps il me reste, etc. » Il faut alors établir un contrat et respecter ses souhaits.

Quand il refuse de manger, doit-on le forcer ?

C. G. : Surtout pas. Les repas sont une grande préoccupation pour les parents, mais il faut être très prudent. Le fait de manger est un besoin physiologique. On ne peut pas décider à sa place s’il a faim ou pas. S’il n’en veut plus, s’il n’aime pas ou qu’il n’a pas faim, il ne faut pas le forcer. Les enfants sont à l’écoute de leur horloge interne. Ils ne mangent jamais s’ils sentent qu’ils sont malades par exemple. Il faudrait que les parents se mettent à leur place. Que diraient-ils si leur conjoint se plaçait juste en face d’eux et les bourraient de nourriture en lui disant : « T’es tout sale ! », « Avale ! » Ce n’est pas une attitude respectueuse. Au contraire, il faut déjà le laisser attraper ce qui lui fait plaisir, le laisser manger seul et, surtout, le faire manger à table avec ses parents, car l’être humain agit beaucoup par imitation, comme la plupart des mammifères. S’il n’a vraiment pas faim, on le fait descendre et on ne fait aucun commentaire. Il n’y a pas à se sentir en colère parce que son enfant respecte son besoin. Ce n’est ni bien ni mal ! Peut-être que dans un quart d’heure, il aura faim, il faudra alors le faire manger, sans le faire culpabiliser. Quand on laisse un enfant tranquille, il n’a aucun problème pour les repas, il grandit et grossit sans problème !

Et s’il se roule par terre parce qu’on lui refuse un jouet ?

C. G. : Les colères sont normales quand on est petit. Il ne faut pas lui interdire de ressentir cette émotion. Oui, il a raison d’être frustré, et c’est normal qu’il l’exprime avec ses moyens, en l’occurrence en hurlant et en se roulant par terre. Son cerveau est littéralement submergé. Si on l’empêche en se moquant, en le secouant ou en l’enfermant seul dans sa chambre, on n’est pas soutenant, ni bienveillant. Menacer de mettre une fessée, humilier ne l’aidera pas à gérer et à reconnaître ses émotions. Les parents disent « Arrête tes caprices ! », mais ce n’est pas un caprice. C’est une manifestation d’émotion qu’il faut respecter. Cela ne veut pas dire céder, ni le laisser faire ce qu’il veut, mais c’est juste reconnaître qu’il vit une tempête émotionnelle et se tenir à côté de lui, pour qu’il puisse venir se réfugier une fois que sa colère sera passée. Être face à la colère d’un enfant demande beaucoup de patience et de calme à l’adulte.

S’il ne veut pas dormir, que fait-on ?

C. G. : Là aussi, le sommeil varie selon les individus. Certains sont des couche-tard lève-tard et pas d’autres. Cela varie aussi suivant ce qu’ils ont fait dans la journée. Mais je dirais que globalement, jusque vers 4 ou 5 ans, les enfants sont souvent traversés par des angoisses. Je plaide pour que les parents comprennent ces peurs. Je leur conseille de le rassurer, le sécuriser et le câliner, même s’ils sont fatigués. Et si l’enfant finit de temps en temps dans leur lit, ce n’est pas grave ! Un tout-petit qui est rassuré, dont on a compris les peurs, voit ses dernières s’estomper avec le temps. Vers 6 ou 7 ans, il est capable de s’apaiser seul. Je conseille parfois aussi aux parents de mettre le cadet dans la chambre de l’aîné, plutôt que de les séparer. Ils se rassurent l’un l’autre et cela se passe souvent mieux.

Et si on a dérapé, qu’on a crié, tapé son enfant, comment faire ?

C. G. : Il est important de s’excuser. On peut dire « Je ne voulais pas le faire, je suis fatiguée et je me sens stressée, ce n’est pas de ta faute. » Parler de ses propres émotions est important. L’enfant comprend très bien. Quand on parle de ses émotions, on lui apprend à reconnaître les siennes. Plus tard, il développera des attitudes plus empathiques et plus sociables. Surtout, rien n’est jamais définitif. Le cerveau est en évolution permanente, il est très malléable, notamment dans la petite enfance. Même un enfant qui n’aura pas été écouté de manière empathique verra ses cellules cérébrales redémarrer si on a envers lui une attitude bienveillante et “soutenante”.
Estelle Cintas
avec Catherine Gueguen, pédiatre et auteure du livre Vivre heureux avec son enfant aux éditions Robert Laffont
Catherine Gueguen est aussi l'auteure de Pour une enfance heureuse : repenser l'éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau

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