Ah oui, vraiment ?
On est très nombreux à croire qu’on n’a pas été traumatisé
par les fessées et gifles reçues.
Alors je vais poser deux questions très simples :
Vous souvenez-vous des fessées, gifles ou autres violences
corporelles reçues ?
Vous souvenez-vous de ce que vous avez alors ressenti
exactement comme émotions ?
Réfléchissez bien…
Alors ? Vous vous en souvenez ?
Non ?
On est en effet très nombreux à savoir qu’on a reçu des
fessées et des claques car nos parents nous l’ont dit. Mais on est vraiment
très peu à s’en rappeler. Ou alors on s’en rappelle mais on ne se souvient pas
de ce qu’on a ressenti : peur, colère, tristesse… On minimise nos émotions
quand on ne les nie pas carrément. « Ca ne m’a pas traumatisé »,
« je n’en suis pas mort » entendons-nous souvent…
D’où nous viennent ces trous de mémoire ou ces dénis ?
Non, on n’a pas la maladie d’alzheimer, du moins, pas
encore. Mais ces oublis ou minimisations de nos ressentis ont une raison.
Ces raisons, nous allons les voir dans cet article.
Je vais pour cela m’appuyer sur le livre de Muriel Salmona Châtiments corporels et violences éducatives - Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses
Je rappelle que Muriel Salmona est psychiatre,
psychotraumatologue, chercheuse et formatrice en phychotraumatologie et en
victimologie. Bref, elle va pouvoir bien nous éclairer sur les traumatismes
causés par les violences subies durant notre enfance.
Attention, ce n’est pas facile de bien tout comprendre du
premier coup. J’ai du relire certains passages de son livre plusieurs fois pour
bien tout intégrer.
Si cet article est dur à lire, émotionnellement parlant, vous
pouvez passer directement à la fin car il finit bien !!!
Lorsque notre cerveau détecte un danger, il sécrète les hormones du stress : du cortisol et
de l’adrénaline. Ces hormones sont utiles car elles nous permettent de
ressentir l’émotion de la peur. Face à un danger, notre cerveau archaïque va mettre en place des mécanismes de défense pour assurer notre survie : l’attaque, la fuite, et si ni l’un ni l’autre n’est possible, le figement.
Lorsqu’une personne est victime d’une agression ou de
violences (que ce soit un adulte ou un enfant face à des adultes), notre
cerveau va sécréter les hormones du stress, mais il est rarement possible dans
ces cas-là d’attaquer ni de fuir, donc certaines parties de notre cerveau (le
cortex frontal et l’hippocampe) vont se retrouver en état de sidération.
Cette sidération empêche le contrôle et la modulation de la réponse
émotionnelle et on se retrouve alors figé face à l’agresseur.
Le cerveau n’arrive plus à contrôler les sécrétions des
hormones de stress. Cela peut entraîner un risque vital cardiologique et
neurologique (la mort par excès de stress et de peur).
Pour échapper à la mort, le cerveau fait disjoncter le
circuit émotionnel et empêche l’intégration de la mémoire. Un peu comme
chez nous où, en cas d’une anomalie électrique, le compteur électrique
disjoncte pour empêcher un incendie. Là, notre cerveau disjoncte pour arrêter
le flot d’hormones de stress, qui ne peut plus être contrôlé par le cortex
frontal et l’hippocampe qui sont en état de sidération, et qui pourrait
entraîner notre mort.
Cette disjonction isole notre amygdale cérébrale, qui est
responsable de la réponse émotionnelle, et stoppe la sécrétion d’adrénaline et
de cortisol.
Mais cette disjonction, si elle nous permet de rester en
vie, provoque un état de dissociation traumatique avec anesthésie émotionnelle
et des troubles de la mémoire avec la mise en place d’une mémoire traumatique.
Normalement, quand on vit un évènement, il est intégré par
l’hippocampe et il se transforme en mémoire autobiographique.
Là, du fait de la disjonction du circuit émotionnel et de
l’isolation de l’amygdale, l’évènement est transformé en mémoire traumatique.
Ca va, vous suivez ? Alors, on continue.
L’état de dissociation traumatique avec anesthésie
émotionnelle entraîne un sentiment d’étrangeté, de déconnexion, d’être
spectateur de la situation.
Vous avez tous entendu parler des femmes victimes de viols
qui racontent toutes qu’à un moment donné, elles ne ressentaient plus rien,
comme si leur esprit avait quitté leur corps, comme si elles n’étaient plus la
victime mais une spectatrice impuissance d’une scène de viol.
Les enfants ressentent la même chose lorsqu’ils sont
victimes de violences. C’est le fameux « même pas mal ». Souvent,
les parents disent « je lui donne des fessées et des gifles mais il n’est
pas traumatisé, il dit « même pas mal » en rigolant » !
Muriel Salmona, qui est également formatrice auprès des
magistrats, parle bien de ce problème du à la méconnaissance de la dissociation
et de l’anesthésie émotionnelle. Lors des auditions, des victimes dissociées
racontent les violences subies avec une telle indifférence, une telle froideur,
un tel détachement, sans aucune émotion, que les juges se disent qu’elles n’ont
pas l’air traumatisées et qu’elles ont l’air d’aller bien et donc classent
l’affaire sans suite ! Ceci explique que 70% des plaines pour viols sont
classées chez les majeurs et 60% chez les mineurs !
Concernant les enfants victimes de violences, cette
sidération et anesthésie émotionnelle peuvent conduire les parents à croire que les coups sont une méthode efficace pour arrêter le comportement dérangeant de leurs enfants. En réalité, ce ne sont pas les coups qui sont efficaces pour arrêter un "caprice", mais l'enfant étant sidéré, il arrête son comportement tout de suite après avoir été frappé.
D'autres vont être amenés au contraire à frapper plus fort ou à hurler pour que l’enfant réagisse pour qu'il pleure ou crie !
D'autres vont être amenés au contraire à frapper plus fort ou à hurler pour que l’enfant réagisse pour qu'il pleure ou crie !
On comprend alors à quel point le risque est grand de
basculer vers la maltraitance ou de donner le coup ou la punition de trop et de
tuer l’enfant !
C’est également pour cela qu’aujourd’hui on ne se
rappelle pas de la peur qu’on a ressenti quand nos parents nous frappaient ou
nous criaient dessus et qu’on dit que ça ne nous a pas traumatisé. On est en
fait dissocié et émotionnellement anesthésié.
Ca va, vous suivez toujours ?
Alors, j’en reviens à la mémoire traumatique qui s’est mise
en place à la place d’une mémoire autobiographique.
Selon Muriel Salmona, la « mémoire traumatique est
une mémoire émotionnelle non intégrée qui, au moindre lien rappelant les
violences et leurs contextes, les fera revivre à l’identique à l’enfant
victime, avec les mêmes émotions (le stress, la peur, la détresse, le désespoir,
la honte, la culpabilité…) et les mêmes perceptions (douleurs et les
cris, les phrases assassines, la haine et la colère du parent violent…), tandis
que l’adulte violent revivra également la scène violente avec ses actes et ses
émotions, ainsi que les réactions de l’enfant. »
Cette mémoire traumatique se déclenche dans des contextes
de violences et créée alors un état de stress et de tension intolérable chez
l’enfant ou l’adulte. C’est vraiment une torture ! Pour arrêter
cette mémoire traumatique, on met en place des stratégies d’évitement ou de contrôle
(on fuit les gens qui s’énervent en quittant la pièce dès que le ton monte, on
envoie dans sa chambre un enfant dont les cris nous sont insupportables par
exemple).
Mais quand ces stratégies ne sont pas possibles, on
cherche alors soit à anesthésier cette mémoire traumatique (avec de l’alcool
ou de la drogue) soit on refait à nouveau disjoncter le circuit émotionnel
en provoquant un stress extrême, par des mises en danger (comme c’est le
cas pour les adolescents qui ont des conduites dangereuses par exemple) ou
en exerçant des violences contre soi ou contre autrui.
« C’est ainsi que le parent violent peut utiliser la
violence contre ses enfants pour anesthésier une mémoire traumatique
provenant de violences qu’il a lui-même déjà exercées contre eux ou contre son
conjoint, de violences qu’il a subies dans sa propre enfance, mais également de
violences qu’il a subies ou commises dans sa famille, au travail ou dans
d’autres circonstances (délinquance, guerres, violences d’état, terrorismes,
etc.). » écrit Muriel Salmona.
La violence engendre donc de la violence puisqu’on l’utilise
pour anesthésier notre mémoire traumatique qui finit toujours par être
redéclenchée…
Si le parent violent avec ses enfants ne se remet pas en
question et ne fait pas un travail sur lui pour comprendre d’où lui vient sa
mémoire traumatique, il continuera encore et encore à reproduire des violences
sur ses enfants pour disjoncter et s’anesthésier.
L’enfant victime des violences sera de plus en plus
traumatisé et de plus en plus envahi par la mémoire traumatique. « Quand
sa mémoire traumatique se déclenchera, il pourra se figer et ne plus pouvoir
bouger ; se mettre à paniquer, à trembler et à pleurer, à uriner sur lui,
à se cacher (comme il avait réagi lors des violences précédentes) ; ou
au contraire à hurler, à avoir des crises clastiques, à casser des objets, à se
faire mal ou se mettre en danger, à injurier, à taper (comme l’adulte
violent avait agi), en reproduisant le comportement de l’adulte violent, dans
sa famille, mais également à la crèche, à l’école, lors d’activités sportives,
sur lui-même, mais également sur des objets, sur d’autres enfants, sur des
adultes ou sur des animaux. » écrit encore Muriel Salmona.
Je crois qu’on a tous déjà vu des enfants insupportables
partout : chez eux avec leurs parents, à l’école, à la garderie, au sport…
où tous les adultes disent « je n’en peux plus de ce gosse ! J’ai
tout essayé, rien n’y fait ! C’est une vraie terreur ! Je ne sais
plus quoi faire ! »…. Certains diront même « Il est mal
élevé ! Les parents n’ont visiblement aucune autorité ! Ca serait mon
gosse, il s’en serait déjà pris une et il se tiendrait mieux ! Il y a des
claques qui se perdent ! »…
Sauf que les enfants qui sont des terreurs partout sont
très certainement des enfants avec une mémoire traumatique qui a été déclenchée
et des claques, ils en ont reçus bien de trop et c’est à cause de toutes les
violences subies qu’ils sont « insupportables » partout !!!
« En dehors des accès de mémoire traumatique,
l’enfant sera le plus souvent dissocié, anesthésié émotionnellement, dans
l’incapacité de se défendre ou de réagir. L’enfant sera alors de plus en plus
considéré comme un enfant difficile et s’opposant, ou comme un enfant
paraissant indifférent, dans l’incapacité de ressentir ses émotions et de se
défendre, avec un risque important de subir de nouvelles violences »
selon Muriel Salmona.
Un cercle sans fin de violences finalement. Quand l’enfant
n’est pas la victime de ses parents, il est le bourreau. Quand il n’est plus le
bourreau, il est de nouveau une victime des adultes ou des autres enfants…
La mémoire traumatique se déclenche souvent à
l’adolescence (d’où les conduites dangereuses à cet âge, les conduites
addictives ou les violences envers soi-même : tentatives de suicide,
scarifications…) mais aussi lors de changements importants (changement
de statut, de travail, à la retraite, lors d’un déménagement…) ou lors de
situations de stress émotionnels importants (examens, premiers entretiens
d’embauche, mariage, naissance, divorce, deuil, chômage…).
Ca va ? Je ne vous ai pas trop déprimé…
Alors, on passe aux bonnes nouvelles !
Notre cerveau est malléable et ça, c’est une très bonne
nouvelle, ça veut dire que peu importe ce qu’on a vécu dans le passé, on peut
en guérir. Il n’y a pas de fatalité !
Il est possible de transformer notre mémoire traumatique
en mémoire autobiographique pour mettre fin à toutes ces violences envers
soi-même ou les autres !
Psychothérapie, programme de formation tel que « Les
clés du passé » de Noémie de Saint-Sernin "Les clefs du passé" de Noémie de Saint-Sernin, atelier sur la gestion des émotions, EMDR… A chacun de trouver la méthode qui
lui paraîtra la plus efficace.
N’hésitez pas à consulter un psy près de chez vous et il
pourra vous réorienter vers le professionnel qui sera plus à même de vous
aider.
Alors j’ai parlé dans cet article de la dissociation, de
l’anesthésie émotionnelle et de la mémoire traumatique mais j’ai déjà parlé
dans d’autres articles des maladies (le « mal a dit ») qu’entraînent
les violences subies :
Je vous invite par ailleurs à lire ou à relire mes autres
articles sur la transmission de la violence de génération en génération :
Et enfin mon article sur la guérison de l’enfant intérieur
pour mettre fin à ce cycle infernal de la violence :
Pour aller plus loin :
Châtiments corporels et violences éducatives - Pourquoi il faut les interdire en 20 questions réponses de Muriel Salmona
Si vous n'êtes pas sur d'avoir tout compris à mon article, voici un extrait du passage de Muriel Salmona en janvier dernier dans l'émission "Allô docteur" sur l'interdiction des violences corporelles envers les enfants avec un article : http://www.francetvinfo.fr/sante/soigner/pourquoi-interdire-la-fessee_1998755.html
On voit au passage que Michel Cymes est anesthésié émotionnellement...
Si vous n'êtes pas sur d'avoir tout compris à mon article, voici un extrait du passage de Muriel Salmona en janvier dernier dans l'émission "Allô docteur" sur l'interdiction des violences corporelles envers les enfants avec un article : http://www.francetvinfo.fr/sante/soigner/pourquoi-interdire-la-fessee_1998755.html
On voit au passage que Michel Cymes est anesthésié émotionnellement...
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